Des Colosses aux Pieds d’Argile : Interview avec Sophie Deshayes, Curatrice de Lucilin in the City #14
Une flûte qui parle, un violoncelle qui grince et des dizaines de voix qui interrompent le silence... Ces instruments ignoraient qu'ils pouvaient vibrer de cette manière !
Pour les amateurs de musique contemporaine et toutes les personnes qui ressentent l’envie de tenter de nouvelles expériences, le dernier concert de l’ensemble United Instruments of Lucilin a mis à l’honneur la créativité des compositeurs qui repoussent sans cesse les limites de la musique en explorant de nouvelles sonorités. Depuis la cave de la Fellner Contemporary, nous avons traversé des forêts automnales avec Beat Furrer, vu les oiseaux de Noriko Baba virevolter librement dans les airs pour finir, suspendus par Helmut Lachenmann, le souffle coupé. Retour sur l’évènement avec Sophie Deshayes, flûtiste de l’ensemble United Instruments of Lucilin et curatrice de l’événement.
Comment ce concert a-t-il vu le jour et qu’est-ce qui a inspiré le choix de ce thème ?
C’est à partir du désir d’interpréter temA de Helmut Lachenmann que ce concert a pris forme. Écrite en 1968, temA, pour voix, flûte et violoncelle, est l’une des œuvres les plus marquantes de Lachenmann. Nous avons choisi de réunir ici, autour de la voix, de la flûte et du violoncelle, un corpus d’œuvres, qui toutes interrogent cette phrase de Berlioz « Tout corps sonore mis en musique par le compositeur est un instrument de musique » et qui reste d’une grande modernité. Le concert présentait une palette variée d’œuvres de compositeurs contemporains.
Pourriez-vous nous en dire davantage sur cette diversité et sur son impact sur l’expérience musicale ?
Chaque compositeur présenté lors du concert apportait une perspective unique. De Beat Furrer à Noriko Baba, en passant par Iris ter Schiphorst et Helmut Lachenmann, le programme offrait une exploration éclectique de la musique contemporaine, en proposant une palette nuancée de styles et d’approches artistiques. La composition de Furrer sur un poème de Friederike Mayröcker fait résonner un processus de tâtonnement linguistique, d’observation et de narration, qui n’est pas sans évoquer celui de Lachenmann. Il s’agit ici de faire en sorte que le texte récité reste toujours compréhensible. Des césures créent l’espace pour la flûte, qui poursuit des mouvements du son de la parole et installe finalement des motifs réguliers. Dans Changeant, pièce théâtralisée pour voix et accompagnement de CD, Iris ter Schiphorst s’intéresse à fixer des moments de la journée d’une femme dans différentes langues. Chaque langage peut être associé à une humeur, un état d’esprit. Pour Brice Pauset, l’instrument, ses modes de jeu et les formes dans lesquelles il se déploie signent leur historicité. Nous avons vu dans Eurydice pour flûte seule ce moment où l’ensemble des contraintes impose de choisir entre différentes solutions.
L’un des points forts de ce concert a été l’interprétation de l’œuvre temA de Helmut Lachenmann. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette pièce et sur son importance dans le contexte de la musique contemporaine ?
temA de Helmut Lachenmann est une pièce emblématique qui incarne parfaitement le concept de « musique concrète instrumentale ». Cette œuvre explore de manière fascinante les possibilités sonores des instruments traditionnels. Son inclusion dans le programme souligne son importance dans l’évolution de la musique contemporaine et son influence sur les compositeurs d’aujourd’hui.
Vous avez présenté en première mondiale trois courtes pièces de Noriko Baba. Qu’est-ce qui vous a poussé à passer cette commande et quel était leur apport à l’expérience globale ?
C’est la grande poésie de sa musique qui nous a incités à lui passer commande. Noriko Baba élabore un langage qui se focalise sur un bruit, une fugacité, une ombre. En détournant l’instrument de son usage habituel, à travers des techniques de jeu spécifiques, elle veut changer son apparence et entraîner l’auditeur dans les contrées du rêve. Les trois pièces qu’elle a composées pour l’occasion : Garrulus, Larus et Muscicape, sont un nouvel opus pour la série Bestarium Musicale de Noriko Baba. Trois oiseaux, personnifiés et détournés avec humour et poésie par les sons de la flûte et du violoncelle. La prochaine œuvre de cette série écrite pour orchestre sera créée en 2025 à la Cité Musicale de Metz.
Ce concert était une exploration des frontières de la musique contemporaine guidée par la passion pour l’innovation musicale. Bravo à Sophie Deshayes, Ingrid Schoenlaub et à Salome Kammer pour cette performance hors norme !
L’aventure continue !
LUCILIN IN THE CITY#15: DAS MALERISCHE LUXEMBURG
Samedi 4 mai à 16h30
Casino Luxembourg
Vous en voulez encore ? Le prochain concert de notre série de concerts indépendants sera un live music cinéma, comme une balade dans le Luxembourg d’antan. Entre des films d’archives sélectionnées par Paul Lesch, et les pièces de compositeurs contemporains interprétées par United Instruments of Lucilin, le grand écart est magistral mais surtout poétique.
Entrée libre, mais pensez à réserver votre place : reservation@lucilin.lu
Photos: © Alfonso Salgueiro